Alors voilà. Chez CIGaLes (Centre LGBT Dijon – Bourgogne, dont je suis adhérente et administratrice), nous avons une bibliothèque assez fournie avec une littérature assez riche. Un bouquin était bien caché. Sa couverture assez peu attirante, est la facade d’un livre qui dit tout haut tout un tas de choses que j’avais assez de mal à exprimer clairement. Pourquoi « couverture peu attirante ». Car la présence du mot « sexe » semblait annoncer un ouvrage encore centré sur le sexe des trans, dont on verra plus tard, on se contrefiche.
Ce livre est écrit par deux femmes trans : Alexandra August-Merelle et Stéphanie Nicot, fondatrices de l’association Trans Aides. Rédigé en 2005, il présente un état des lieux sur la transidentité en 2005, qui n’a hélas que bien trop peu changé, quasiment 10 ans plus tard…
D’emblée les première pages rassurent : le vocabulaire sera clair, précis et non-pathologisant. Aussi sera employé de façon systématique « personnes transgenre », « Trans », « MtF », « FtM », « Cisgenre », etc. Bref tout un glossaire crée par les Trans et que nous nous sommes appropriés. On sent que la suite de la lecture sera agréable.
Plutôt que de vous faire une analyse détaillée et profonde de ce livre, je vais me contenter de mettre une série de citations que je trouvais vraiment justes, percutantes. AVERTISSEMENT : certains passages peuvent déclencher de douloureux souvenirs.
«Les proches prétendent souvent […] que l’usage du nouveau prénom féminin est un détail de l’histoire… Pour une trans, c’est tout simplement vital.»
«Seuls, les psychiatres et les magistrats s’évertuent à désigner les [trans] par leur sexe d’origine.[…] Dé-nommer, c’est déshumaniser.»
«L’ennui, pour nos amateurs de petites cases, c’est qu’une Transgenre n’entre -par définition- dans aucun schéma binaire, et ses partenaires non plus…»
«Les trans couchent souvent entre elles…»
Où, quand le rejet cisgenre entraîne une ghettoïsation entre trans, condamnées dès lors à ne sortir qu’entre elles, invariablement si elles sont hétéro, bies ou lesbiennes.
«[A propos des IST] Placer les trans en situation d’insécurité psychique et sociales, c’est les pousser à des conduites à risques […] On ne dira pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une volonté délibérée de l’état de parier sur une “éradication blanche”, mais on voudrait y parvenir qu’on n’agirait pas autrement.
[…]un néo-vagin est tout aussi contaminable ou contaminant qu’un vagin cisgenre.»
Gros passage sur les IST (Infections Sexuellement Transmissibles). Il est bon d’insister là-dessus car les trans sont des personnes encore très touchées, une population à risque, très sensible.
«Concevoir le passage au féminin comme un abaissement, c’est la vision typique d’une femme qui a intériorisé la domination masculine»
A propos de Colette Chilland, psychiatre transphobe s’il en est.
«Le diagnostic va donc se poser sur la constance à demander et à souffrir du besoin de changement, c’est pourquoi une période de deux ans d’observation a été fixée»
Mireille Bonierbale, psychiatre. “Questions Face Au Transsexualisme“, 1998. [Cette psy exerce toujours, dans l’équipe de Marseille, NDA]
«On rappellera donc à ceux qui mentent délibérément aux personnes Trans, et à l’opinion, en prétendant qu’elle est « obligatoire », que cette période d’observation de deux ans n’est nullement un impératif légal.»
Juste après ce passage, je découvre avec effroi qu’il n’y a pas si longtemps on pratiquait des séances d’électrochocs sur les trans… Et qu’il est intéressant de découvrir que les psy qui osaient pratiquer ce genre de choses sont à la tête des … équipes « officielles » ! Vous serez fascinés d’apprendre aussi que l’Ordre des Médecins a été fondé sous le Régime de Vichy, et qu’il était de bon ton à l’époque -au sein de cet ordre- de livrer aux Allemands les médecins Juifs. J’imagine que de nos jours, cette culture de la déshumanisation s’est tour à tour projetée sur les homos, puis sur les trans.
«Un certain nombre de transgenre s’imaginent qu’elles deviendront de “vraies femmes” grâce à leur opération génitale. Pourtant, une vaginoplastie n’est pas un passeport pour la féminité.»
«Quand on voit les photographies de néo-vagins réalisés en France, on se demande devant quel film d’horreur on se trouve. Surtout en découvrant que ces prises de vues n’ont pas été effectuées en cours d’opération mais six mois voire un an après intervention.»
Note : cela est vrai encore pour la très très grande majorité des opérations réalisées en France. MAIS. Les choses commencent à bouger un peu de ce côté là. En effet, un chirurgien s’est posé les bonnes questions et a pris l’initiative d’aller se former sur les opérations de reconstructions pratiquées au Canada, en Thaïlande, etc. Les retours concernant ses opérations sont positifs. Il reconstruit un véritable appareil génital féminin (petites et grandes lèvres, clitoris et vagin) en étant très inspiré des techniques étrangères. Il travaille actuellement au sein du GRETIS de Lyon et il s’appelle Morel Journel. Et il réalise aussi des phalloplasties, qui sont d’après les retours que j’en ai de très bonnes qualité !
«C’est donc abordable pour beaucoup, mais toutes ne peuvent accéder des vaginoplasties de qualité, comme les jeunes Trans scolarisées sans travail ou confrontées à une famille hostile, et les filles sans emploi ou dans la précarité ; tout le monde n’a pas non plus une vie sociale riche, avec des amis fidèles et argentés susceptibles de prêter de l’argent. Tout le monde n’est pas non plus fonctionnaire ou assimilé pour avoir facilement un prêt bancaire à la consommation.»
En effet. Il faut bien prendre conscience que les trans c’est comme pour tout le monde : y en a des fortunées qui peuvent tout se payer en un rien de temps et n’avoir aucun soucis pour se payer le laser et/ou l’électrolyse, les opérations (pas que la vagino, mais les autres), ainsi que les consultations ; y en a des qui arrivent à boucler leur fin de mois mais qui doivent faire attention et donc des concessions, quite à devoir attendre plusieurs années ; et celles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, qui n’ont même pas les moyens de consulter un médecin généraliste pour avoir leurs ordonnance et qui par conséquent sont plus ou moins contraintes à l’automédication via le marché noir pour se faire filer leur THS. Dans cette dernière situation, la transition est souvent vécue comme un calvaire, avec souvent des pauses dans l’hormonothérapie, avec tous les risques de santé que cela peut entrainer, un corps qui tarde à être modifié, des poils dont il devient difficile de se débarrasser, et je ne parle pas des opérations qui deviennent dès lors inaccessibles.
«[…]certaines Trans croient se distinguer en passant du clan des non-opérées au club très fermé des opérées. […] valoriser en dévalorisant les autres n’est jamais signe de bonne santé mentale ni d’épanouissement personnel.»
Petit clin d’œil à ces trans qui se permettent de juger les autres du haut de leur opération et qui trouvent gerbant d’imaginer une femme avec une pénis.
«Voter, voilà l’acte citoyen par excellence. Une Trans, elle, a le choix entre s’abstenir ou être publiquement désignée. Dans un bureau de vote, la loi impose en effet d’annoncer à haute et intelligible voix les noms et prénoms de la personne[…]. Les autres électeurs voient une femme et on annonce Stéphane, Louis, Gaston.»
Ou comment se faire outer dans tout son quartier en trois coups de cuiller à pot.
«Pour résister, les personnes Transgenre ont à leur disposition l’article 9 du Code Civil (Loi n° 94-653 du 29 Juillet 1994).»
Attention, extrait d’analyse d’un légiste (gynécologue). Car bien trop souvent, le procureur veut une preuve tangible de l’opération ou non de la trans :
«elle est vêtue de façon très féminine avec une mini-robe arrivant au dessus des genoux […] on met en évidence l’orifice du néo-vagin qui acceptera sans difficulté un doigt large.».
Voilà voilà, ou comment organiser le viol légal… Et :
«Tous ceux et celles qui ont été violés sont marqués à jamais : égalité, fraternité, c’est pour la rime !»
J’insiste là dessus. C’est du VIOL. Personne, ni même l’Etat, ne devrait forcer une personne à écarter les cuisses pour estimer si le néo-vagin d’une trans est compatible avec la réception d’un pénis (c’est ce qui est recherché, faut pas se leurrer). De même, que ces pratiques honteuses, d’un autre temps, consistant en la mesure précise du pénis d’une trans et vérifier la stérilité de l’organe. Et si ça va pas => Article 9 du Code Civil, et Article 8 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (arrêt du 25 Mars 1992). Je rappelle que ces procédures honteuses sont encore demandées pour qu’une trans puisse changer son État-Civil !
«En France, l’État ne lutte pas contre les discriminations qui frappent les Trans, puisqu’il les organise.»
Dans la conclusion :
«Avant leur transition, elles avaient le statut privilégié culturellement dévolu aux hommes. Après leur transition, elles ne peuvent être dupes des modes d’exercices de la domination masculine. Les femmes cisgenre, elles, sont tellement habituées à la subir qu’elles l’ont intériorisée et la voient parfois plus.»
Donc une excellente lecture, que j’ai englouti en l’espace d’une journée à peine. Faut dire que le discours est clair, passionnant, et démonte nombre de clichés. On se rends compte qu’en 10 ans, peu de choses ont évolué : équipes « officielles » qui s’imposent comme passage obligatoire, psychiatres cyniques aux méthodes douteuses, changement d’Etat-Civil soumis à la condition d’être violé-e, car toujours AUCUNE LÉGISLATION permettant aux Trans de pouvoir changer leur identité de façon libre et gratuite ! Manque cruel d’intérêt des chirurgiens pour les opérations de vagino/phalloplasties. Toujours aucun remboursement des opérations réalisées à l’étranger alors que celles-ci coûtent moins chères et sont nettement mieux réalisées. Toujours aucune protection légale des trans vis à vis de la transphobie. Et j’en passe…
Une note quand même concernant l’équipe du GRETIS de Lyon. Même si tout n’est pas encore parfait, c’est à ma connaissance la seule équipe qui prends en charge des trans hors-parcours et qui les intègre en cours de parcours, sans leur demander de tout recommencer.
Least but not last, ce livre est librement consultable en ligne ici.