L’article qui suit est la traduction intégrale d’un article écrit par Shannon T.L Kearns (disponible ici en version originale), dont je partage à 100% l’avis. C’est un mec trans, écrivain, orateur, et théologien. Et il officie en tant que prêtre. Et s’occupe d’une compagnie de théâtre (Uprising Theatre Company).
Je m’arrête ici, et place à l’article.
«Les nominé-e-s aux Oscars est sorti et dans l’océan de visages d’hommes, il y a Eddie Redmayne, habillé en femme, nominé pour son rôle dans The Danish Girl. J’ai eu un mouvement de recul. C’est l’image parfaite de tout ce qui ne va pas avec le portrait des personnes transgenre dans la plupart des films célèbres. Cela envoie une message : les femmes trans sont en fait des hommes.
J’ai parlé de ceci sur Twitter, et quelqu’un m’a dit : «Bien sûr qu’il est nominé pour le rôle de meilleur acteur, c’est un homme !». Comme si je ne savais pas que c’était justement cette contradiction que je cherchait à montrer avec mes commentaires. Le fait qu’Eddie Redmayne, un homme cisgenre, a été recruté pour jouer une femme transgenre, et ensuite avoir été nominé comme meilleur acteur pour son interprétation de cette femme, est du gâchis.
Même si on met de côté le fait qu’il y a un certain nombre de personnes trans capables de jouer des rôles trans (et aussi, des personnes trans capables de jouer des rôle non-trans, mais c’est une autre réflexion), le fait que les personnes trans soient habituellement joués par des acteur-ice-s qui ne sont pas du même genre que la personne trans n’est pas correct. Et pas juste problématique, pas seulement bizarre, pas juste un problème qu’on peut surmonter ; fondamentalement incorrect. Sur tout les plans.
Si (et avec un grand si, quand on voit qu’il y a en fait quantité d’acteur-ice-s trans très talentueux-ses) un-e acteur-ice trans ne peut pas être trouvé pour jouer une personne trans, alors les réalisateurs et les producteurs devraient au moins embaucher des gens qui ont le même genre que la personne trans. Aussi loin que je puisse le savoir, cela a été fait une seule fois : Felicity Huffman dans Transamerica. Dans tous les autres films et autres séries que j’ai pu voir, les personnes trans sont jouées par des acteur-ice-s cis qui ne partagent pas la même identité de genre. Hilary Swank dans Boys Don’t Cry, Daniela Sea dans The L World, Elle Fanning dans Ray, Jeffrey Tambor dans Transparent, Tom Wilkinson dans Normal, et la liste continue… mais pas façon interminable car il n’existe que trop peu de films et séries à propos des personnes trans [il existe toutefois Sense8 et Orange is The New Black où deux personnes trans sont jouées par des personnes trans, NDLR].
Et voyez-vous, c’est tout le problème : une communauté extrêmement marginalisée qui souffre d’intenses discriminations et violences, une communauté qui est largement incomprise (également par les minorités sexuelles), une communauté qui est souvent haïe et moquée, n’a quasiment aucune représentation positive dans les médias. Et même, même quand il y a des représentations, c’est mal fait et les acteur-rice-s choisi-e-s propagent des idées blessantes à propos de la communauté.
Si la conception générale à propos des personnes trans et que, au fond, et peu importe ce qu’iels font, iels sont réellement le sexe qu’on leur assigne à la naissance, pouvez-vous voir à quel point recruter quelqu’un qui ne partage pas la même identité de genre ne fait que perpétuer cette idée ? En tant qu’auteur-ice-s, producteur-ice-s, réalisateur-ice-s, tout le monde impliqué dans la création de médias à propos de groupes marginalisés, vous avez la responsabilité de faire les choses correctement pour ces groupes. C’est sérieux, car quand on le fait, des gens meurent, littéralement.
J’entends des excuses telles que «C’est juste un film !» ou «Au moins, on parle de vous !» ou «C’est ça être acteur !». Aucune ne sont valables. On a déjà vu le pouvoir des films pour former la conscience, pour changer l’opinion publique, ou éduquer. Donc, à chaque fois qu’un film fait mal les choses, cela forme une mauvaise conscience, déformant l’opinion publique, et disposant de mauvaises informations.
A propos du fait de jouer. Oui, un-e acteur-ice talenteux-se peut faire beaucoup de choses. Iel peut devenir une autre personne, iel peut vous faire croire. Un-e acteur-ice professionel-le fera aussi son boulot, interroger des gens, apprendre à propos des personnes qu’iel doit représenter. Mais même le-a meilleur-e acteur-ice ne peut devenir vraiment quelqu’un qu’iel n’est pas. Quand on en arrive à l’expérience d’être trans, peu importe la quantité de travail ou d’interviews ou d’interprétation ne pourra permettre de savoir ce que c’est. Cela veut dire qu’il y aura toujours un aspect faux dans leur rôle. Et même un seul aspect, c’est trop pour une communauté en sous-représentation.
Même si vous voulez vous en tenir à la carte interprétation, pourquoi ne pas engager des femmes cis pour jouer des femmes trans ? Et pourquoi pas une homme cis pour jouer un homme trans ? La réponse à cette question me dit que ce que vous pensez réellement des personnes trans. Le fait que cela ne se soit jamais vraiment produit de la part des réalisateur-ices et producteur-ices me fait dire que ces gens qui veulent raconter nos histoires n’ont pas tellement notre meilleur intérêt en tête.
Donc non. Je n’applaudirai pas Eddie Redmayne et les gens qui ont fait The Danish Girl. Même si c’est une film bien réalisé. Je ne vais pas applaudir car cela n’est pas fait correctement. Et je suis fatigué de ces films qui sont incorrectement faits. Et je ne vais pas non plus applaudir Redmayne parce qu’on le trouve « courageux » d’avoir joué une femme trans. Et je ne vais pas applaudir l’attention qu’on lui porte alors que acteur-ice-s trans continuent de passer à côté de tout ceci, pendant que des studios refusent de nous laisser raconter nos histoires, pendant que les fonds vont vers des personnes cis qui parlent pour nous et sans nous.
Il est temps pour nous personnes trans de raconter de raconter nos propres histoires. Il est temps de jouer nos propres personnages. Il est temps de montrer au monde de quoi nous sommes réellement fait-e-s.»