Je vais tout d’abord prendre quelques préalables et expliquer un peu le cadre et le contexte. Donc…
Introduction
Le texte qui nous intéresse est un Projet de Loi (PJL), émis par le Gouvernement (contrairement à la Proposition de Loi, ou PPL, texte émis par le Parlement), et plus précisément par Christiane Taubira, ex-Garde des Sceaux. Il s’agit du texte n°3726 intitulé Modernisation de la Justice du XXIème Siècle. Oui, rien que ça. Il s’agit d’un ensemble de réformes du Code Pénal et du Code Civil, afin de simplifier certaines procédures et de rendre la justice plus efficace, notamment avec le règlement de certains conflits à l’amiable, ne plus faire intervenir de juges dans certaines situations spécifiques, transmettre certaines compétences qui étaient du domaine judiciaire aux officiers d’Etat-Civil, et j’en passe.
Alors ce texte, d’ambitions modestes, serait passé assez inaperçu s’il y n’avait pas reçu d’amendements se concentrant sur les démarches de changement d’Etat-Civil.
1 • Procédure législative
Mais avant il convient de comprendre -basiquement- comment un PJL (ou une PPL), modifie le droit actuel. La plupart de ces textes sont présentés sous une série d’articles, chacun modifiant les textes (Code Civil, Code Pénal, Code du Travail…), ou supprimant ou ajoutant de nouveaux alinéas, paragraphes, voire des sections complètes. PJL comme PPL peuvent être amendés. C’est-à-dire qu’à tout moment, député-é-s, sénateur-ice-s, gouvernement, peuvent venir modifier proposer des amendements dans ce texte. Soit pour préciser, soit pour modifier, soit pour supprimer un ou plusieurs articles. Bon, je ne parlerai des détournements politiciens de l’usage des amendements (pour ralentir la procédure législative notamment…). Ces amendements sont votés, ils peuvent être rejetés comme adoptés (voire écartés ou retirés).
• Au Sénat
Alors donc, nous avons notre PJL (dans notre cas), proposée par le Gouvernement, en 1ère lecture au Sénat (je ne parlerai pas des procédures préparatoires qui on mené à ce moment là. Vous voulez que je vous parle « études d’impact » par exemple ? Non hein.), les 3, 4 et 5 Novembre 2015. Dans cette PJL est présent un article 18, concernant les registres d’Etat-Civil (voir ici, le texte de base), qui va être pas mal retoqué. Mais jusque là, cet article, bien qu’amendé, ne présente rien concernant le changement d’Etat-Civil et se cantonne à quelques modifications. Il sort du Senat en cet état.
• À l’Assemblée Nationale
Donc direction l’Assemblée Nationale où il passe en commission des lois, et se retrouvé flanqué de nouveaux amendements. Dont l’amendement CL190, gouvernemental, modifiant l’article 60 du Code Civil sur le changement du prénom. Cet amendement sera adopté, et donc inscrit dans le PJL, qui figurera dans l’article 18quater. Changement du prénom, mais aussi…
Sergio Coronado (accompagné de Pascale Crozon, Erwann Binet et Michelle Delaunay), lors de la séance de travail en commission des lois du 4 Mai 2016, propose un amendement, intitulé CL89, visant à faciliter les démarches de changement de la mention du sexe à l’Etat-Civil. Amendement qui sera rejeté. Bien dommage car celui-ci proposait une nette déjudiciarisation et démédicalisation de la procédure (en faisant appel à une demande via l’officier d’Etat-Civil). Et proposer à la place quelque chose d’autre (demande adressée au procureur de la république par exemple). Donc de nouveaux amendements devraient être apportés.
C’est ce qui se produit, le 17 Mai 2016, lorsque le texte, intitulé 3726, arrive en 1ère séance publique. Avec cette fois-ci plusieurs amendements. D’abord un amendement -très identique au CL189- concernant la modification de la mention du sexe à l’Etat-Civil, numéroté 150. Il sera non pas rejeté, mais retiré ! Sous la pression du Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui a proposé un autre amendement, malheureusement plus contraignant (vous verrez plus bas). Il s’agit de l’amendement numéro 282, qui viendra avec des sous-amendements, qui vient créer de nouvelles sections dans l’article 61 du Code Civil (après la section 61-4). Cet amendement sera voté favorablement, et intègre désormais le PJL. Nous sommes le 19 Mai 2016, et pour la première fois, un projet de loi intègre des dispositions concernant le changement d’Etat-Civil.
Alors ? Révolution ?
C’est… compliqué.
[MISE À JOUR DU 3 Juillet 2016]
Le 22 Juin 2016, le texte est passé en Commission Mixte Paritaire. Un accord n’a pas pu être trouvé. Et donc, le texte est revenu à l’Assemblée Nationale afin qu’il soit de nouveau examiné et amendé en commission des Lois. De nouveaux amendements ont donc été ajouté à l’article 18quater. La proposition s’en trouve donc de nouveau modifiée. Le texte sera discuté en séance publique du 11 au 13 Juillet 2016. Il est donc probable que l’article subisse encore des modifications. La suite sera le Sénat, avec encore des modifications apportées (pas de dates connues pour cette commission) et un dernier retour à l’Assemblée Nationale qui statuera de manière définitive, avant la promulgation du texte.
[MISE À JOUR DU 22 Septembre 2016]
La discussion de l’article a été menée le 19 Septembre en commission des lois au Sénat et le bouleverse totalement. Celle-ci fait disparaître purement et simplement la modification de l’article 60 (amendement COM-80), qui déjudiciarise la procédure du changement de prénom. Mais encore plus grave : cet amendement, intitulé COM-81, renforce la médicalisation de la procédure. Il reste encore à voir le résultat de la séance publique du Sénat qui se tiendra les 27 et 28 Septembre, avant que le projet de loi n’aille une dernière fois à l’Assemblée Nationale, qui fixera sa forme définitive à notre 18quater.
[MISE À JOUR DU 28 Septembre 2016]
La séance publique tenue le 27 Septembre n’aura vu aucune amélioration de l’article. Tous les amendements en vue de rétablir le texte dans sa version d’avant commission des lois au Sénat ayant été rejetés, dont un non-soutenu et un autre retiré. Le texte conserve donc son caractère médicalisant, psychiatrisant.