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Droit TransMilitantisme

[Mise à jour du 28/09/16] Sur le changement d'Etat-Civil, que dit le nouveau texte ?

Je vais tout d’abord prendre quelques préalables et expliquer un peu le cadre et le contexte. Donc…

Introduction

Le texte qui nous intéresse est un Projet de Loi (PJL), émis par le Gouvernement (contrairement à la Proposition de Loi, ou PPL, texte émis par le Parlement), et plus précisément par Christiane Taubira, ex-Garde des Sceaux. Il s’agit du texte n°3726 intitulé Modernisation de la Justice du XXIème Siècle. Oui, rien que ça. Il s’agit d’un ensemble de réformes du Code Pénal et du Code Civil, afin de simplifier certaines procédures et de rendre la justice plus efficace, notamment avec le règlement de certains conflits à l’amiable, ne plus faire intervenir de juges dans certaines situations spécifiques, transmettre certaines compétences qui étaient du domaine judiciaire aux officiers d’Etat-Civil, et j’en passe.
Alors ce texte, d’ambitions modestes, serait passé assez inaperçu s’il y n’avait pas reçu d’amendements se concentrant sur les démarches de changement d’Etat-Civil.

1 • Procédure législative

Mais avant il convient de comprendre -basiquement- comment un PJL (ou une PPL), modifie le droit actuel. La plupart de ces textes sont présentés sous une série d’articles, chacun modifiant les textes (Code Civil, Code Pénal, Code du Travail…), ou supprimant ou ajoutant de nouveaux alinéas, paragraphes, voire des sections complètes. PJL comme PPL peuvent être amendés. C’est-à-dire qu’à tout moment, député-é-s, sénateur-ice-s, gouvernement, peuvent venir modifier proposer des amendements dans ce texte. Soit pour préciser, soit pour modifier, soit pour supprimer un ou plusieurs articles. Bon, je ne parlerai des détournements politiciens de l’usage des amendements (pour ralentir la procédure législative notamment…). Ces amendements sont votés, ils peuvent être rejetés comme adoptés (voire écartés ou retirés).

• Au Sénat

Alors donc, nous avons notre PJL (dans notre cas), proposée par le Gouvernement, en 1ère lecture au Sénat (je ne parlerai pas des procédures préparatoires qui on mené à ce moment là. Vous voulez que je vous parle « études d’impact » par exemple ? Non hein.), les 3, 4 et 5 Novembre 2015. Dans cette PJL est présent un article 18, concernant les registres d’Etat-Civil (voir ici, le texte de base), qui va être pas mal retoqué. Mais jusque là, cet article, bien qu’amendé, ne présente rien concernant le changement d’Etat-Civil et se cantonne à quelques modifications. Il sort du Senat en cet état.

• À l’Assemblée Nationale

Donc direction l’Assemblée Nationale où il passe en commission des lois, et se retrouvé flanqué de nouveaux amendements. Dont l’amendement CL190, gouvernemental, modifiant l’article 60 du Code Civil sur le changement du prénom. Cet amendement sera adopté, et donc inscrit dans le PJL, qui figurera dans l’article 18quater. Changement du prénom, mais aussi…

Sergio Coronado (accompagné de Pascale Crozon, Erwann Binet et Michelle Delaunay), lors de la séance de travail en commission des lois du 4 Mai 2016, propose un amendement, intitulé CL89, visant à faciliter les démarches de changement de la mention du sexe à l’Etat-Civil. Amendement qui sera rejeté. Bien dommage car celui-ci proposait une nette déjudiciarisation et démédicalisation de la procédure (en faisant appel à une demande via l’officier d’Etat-Civil). Et proposer à la place quelque chose d’autre (demande adressée au procureur de la république par exemple). Donc de nouveaux amendements devraient être apportés.

C’est ce qui se produit, le 17 Mai 2016, lorsque le texte, intitulé 3726, arrive en 1ère séance publique. Avec cette fois-ci plusieurs amendements. D’abord un amendement -très identique au CL189- concernant la modification de la mention du sexe à l’Etat-Civil, numéroté 150. Il sera non pas rejeté, mais retiré ! Sous la pression du Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui a proposé un autre amendement, malheureusement plus contraignant (vous verrez plus bas). Il s’agit de l’amendement numéro 282, qui viendra avec des sous-amendements, qui vient créer de nouvelles sections dans l’article 61 du Code Civil (après la section 61-4). Cet amendement sera voté favorablement, et intègre désormais le PJL. Nous sommes le 19 Mai 2016, et pour la première fois, un projet de loi intègre des dispositions concernant le changement d’Etat-Civil.

Alors ? Révolution ?

C’est… compliqué.

[MISE À JOUR DU 3 Juillet 2016]

Le 22 Juin 2016, le texte est passé en Commission Mixte Paritaire. Un accord n’a pas pu être trouvé. Et donc, le texte est revenu à l’Assemblée Nationale afin qu’il soit de nouveau examiné et amendé en commission des Lois. De nouveaux amendements ont donc été ajouté à l’article 18quater. La proposition s’en trouve donc de nouveau modifiée. Le texte sera discuté en séance publique du 11 au 13 Juillet 2016. Il est donc probable que l’article subisse encore des modifications. La suite sera le Sénat, avec encore des modifications apportées (pas de dates connues pour cette commission) et un dernier retour à l’Assemblée Nationale qui statuera de manière définitive, avant la promulgation du texte.

[MISE À JOUR DU 22 Septembre 2016]

La discussion de l’article a été menée le 19 Septembre en commission des lois au Sénat et le bouleverse totalement. Celle-ci fait disparaître purement et simplement la modification de l’article 60 (amendement COM-80), qui déjudiciarise la procédure du changement de prénom. Mais encore plus grave : cet amendement, intitulé COM-81, renforce la médicalisation de la procédure. Il reste encore à voir le résultat de la séance publique du Sénat qui se tiendra les 27 et 28 Septembre, avant que le projet de loi n’aille une dernière fois à l’Assemblée Nationale, qui fixera sa forme définitive à notre 18quater.

[MISE À JOUR DU 28 Septembre 2016]

La séance publique tenue le 27 Septembre n’aura vu aucune amélioration de l’article. Tous les amendements en vue de rétablir le texte dans sa version d’avant commission des lois au Sénat ayant été rejetés, dont un non-soutenu et un autre retiré. Le texte conserve donc son caractère médicalisant, psychiatrisant.

2 • Le texte en l’état actuel des choses

Alors en toute logique législative, ce PJL devrait revenir au Sénat, afin d’être de nouveau amendé, discuté en 2nde lecture, etc. Seulement, ce texte est dans une procédure dit « accélérée ». Il donc donc passé en Commission Mixte Paritaire, une chambre constituée d’autant de député-e-s que de sénateur-ices, qui ont du légiférer afin de trouver un accord commun. Et c’est là que devrait se jouer le sort du fameux 18quater, car Sénat et Assemblée Nationale n’ont pas les mêmes accords. Donc soit il y a accord en CMP, soit le texte repartira dans la « navette » (retour Assemblée Nationale, puis Sénat, mais c’est l’AN qui aura le dernier mot).

, Mais imaginons que le 18quater ne soit plus touché, et qu’il fasse loi. Lors de la consultation du Code Civil, à l’article 61, nous aurions un texte de cette ampleur (texte crée en tenant compte des derniers amendements) :

L’article 60 du Code Civil est ainsi rédigé :

Section 2

Art. 60. – Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom. La demande est remise à l’officier de l’état civil du lieu de résidence ou du lieu où l’acte de naissance a été dressé. S’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, la demande est remise par son représentant légal. L’adjonction, la suppression ou la modification de l’ordre des prénoms peut également être demandée.

Si l’enfant est âgé de plus de 13 ans, son consentement personnel est requis. 

La décision de changement de prénom est inscrite sur le registre de l’état civil.

S’il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu’elle est contraire à l’intérêt de l’enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s’oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut alors saisir le juge aux affaires familiales.

[Articles 61 à 61-4]

Section 2 bis

De la modification de la mention du sexe à l’état civil

Art. 61-5 – Toute personne majeure qui ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, peut obtenir la modification de son état civil, pour qu’il indique le sexe dont elle a désormais l’apparence.

Art. 61-6 – La demande est portée devant le Tribunal de Grande Instance.

Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe à l’état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa demande. La réalité de la situation mentionnée à l’article 61-5 est médicalement constatée.

Le seul fait de ne pas avoir subi d’opération chirurgicale conduisant à une modification des organes génitaux ou à une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande.

Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à l’article 61-5 et ordonne sous trois mois la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, aux prénoms, à l’état civil.

Art. 61-7 – Mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms est portée en marge de l’acte de naissance de l’intéressé, à la requête du procureur de la République, dans les quinze jours suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée.

Par dérogation aux dispositions de l’article 61-4, les modifications de prénoms corrélatifs à une décision de modification de sexe ne sont portés en marge des actes de l’état civil des conjoints et enfants qu’avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.

Les dispositions des articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe.

Art. 61-8 – La modification de la mention du sexe à l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard de tiers, ni sur les filiations établies. »

 

3 • Analyse

Nous avons plusieurs choses :

Tout d’abord l’article 60, modifié, propose que le changement de prénom se fasse en mairie, sur simple demande. Ceci est une bonne avancée car en l’état actuel des choses, il faut saisir un juge (et donc le tribunal de grande instance), et engager une procédure assez similaire à celle de la modification du changement de la mention du sexe à l’Etat-Civil  [Commentaire de texte désormais caduque] Le changement du prénom répondrait désormais à la version actuelle de l’article 60, soit une procédure judiciaire ;

• Le 61-5 dicte déjà qu’il faut avoir la majorité pour pouvoir prétendre à rectifier la mention du sexe ;

• Le 61-5 précise une liste d’éléments qu’il faut apporter pour PROUVER que notre genre diffère de nos papiers à l’aide de 4 éléments plus ou moins précis. «Se présenter publiquement comme appartenant au [genre] revendiqué». Se présenter, mais où ? A quel endroit ? Lors de la demande j’imagine. Il faut aussi visiblement produire des attestations de notre entourage (comme avant donc…). Le 3ème élément est assez intéressant, car il fait du changement de prénom (facilité par le PJL), une condition du CEC, et j’ose espérer que le futur article 60 ne sera pas modifié outre-mesure. Toutefois, on peut espérer que cette condition soit accessoire concernant les personnes ayant des prénoms neutres. Enfin, le dernier élément, et non des moindres, stipule qu’il faut parvenir à prouver que nous avons fait des démarches médicales (à base d’attestations je suppose). Nous sommes plutôt d’une démédicalisation. A moins que… | [Caduque depuis le 19 Septembre 2016] Cet article précise qu’il faut avoir obligatoirement des éléments déterminant que l’on n’appartient plus au sexe d’origine. Cela rends désormais obligatoirement le fait d’avoir effectué un traitement hormonal, et très certainement des opérations telles que mammoplastie / mammectomie. Chirurgie de féminisation faciale (pour les femmes trans). Cet article renforce donc la médicalisation du changement d’état-civil ;

• Le 61-6 montre un net revirement par rapport aux propositions précédentes. Retour du Tribunal de Grande Instance ! Bref, la situation actuelle. Il faut donc saisir le TGI. Mais comment ? Avec quelle démarche ? En l’absence de précisions dans le texte, j’ai mené ma petite enquête, et la réponse est ici et ici, notamment. Avec une « requête conjointe », visiblement. Cette saisine ne peut se faire sans avocat-e, donc le texte continue d’entériner la situation actuelle. La procédure de saisine est gratuite, mais peut engendrer des coûts (et il faudra passer, pour certain-e-s d’entre nous, par l’aide juridictionnelle). Cet article fait mention aussi du fait qu’il faut une vérification médicale du « changement de sexe » ;

Je marque une pause là. Ce texte en l’état n’est pour le moment pas une grande avancée. Il faut contacter un-e avocat-e, lui expliquer la démarche, et saisir le TGI, en fournissant tout un tas de justificatifs, dont des médicaux. Pour démédicaliser et surtout, déjudiciariser la procédure, on reviendra…

Je reprends.

• Toujours dans le 61-6, le 3ème alinéa. J’ai pourtant vérifié plusieurs fois, mais non, ce n’est pas une erreur visiblement. Cet alinéa suggère que ne pas apporter de justifications d’opération génitale, ne pourrait pas être un argument pour refuser la demande. Donc, on se retrouve dans la situation suivante : par contraste, cela rends obligatoire le fait de suivre un traitement médical, et cela laisse à l’appréciation du juge le fait d’accepter ou de refuser notre dossier selon l’état de notre appareil génital. Retour donc de l’arbitraire judiciaire, où le juge peut considérer les documents suffisants comme insuffisants ;

• Le 61-7 définit la façon dont la modification de l’Etat-Civil est effectuée. Là non plus, rien ne change : on met en marge et c’est tout. Et si jamais on a de la famille, il faudra leur consentement si l’on veut que les modifications soient visibles sur leurs actes d’Etat-Civil (notamment si l’on veut renouveler le livret de famille) ;

• Enfin, le 61-8, tout petit, évoque que les liens de filiation ne sont pas rompus une fois que la mention du sexe à l’Etat-Civil est modifiée. Et n’entraine aussi aucune rupture de quelque engagement effectué de façon contractuelle (dette, contrat de travail, etc.).

Ouf.

BON !

Si vous voulez vous reposer, vous détendre ailleurs, n’hésitez pas hein.

Donc je vais conclure sur les + et les – de ce texte.

Les +

Finie la stérilisation. Finie l’obligation d’avoir une opération génitale. Du moins, en théorie. Et -THÉORIQUEMENT- finie l’obligation de suivre un traitement médical (mais c’est flou).
Fini également la procédure de saisine d’un juge pour changer son ou ses prénoms, modifier leur ordre, etc. Ça se passera en mairie, demande papier, et puis c’est marre !

Les –

Gratuité théorique de la procédure, mais les frais engendrés par la saisine du TGI font tomber cette gratuité.
Le fait de devoir ENCORE passer par le TGI.
Le fait de devoir ENCORE fournir des justificatifs.
Le fait de devoir ENCORE s’équiper d’un-e avocat-e.
Le fait de devoir ENCORE se soumettre à l’arbitraire juridique.

La Vraie Conclusion

Il n’y en n’a pas. Le 18quater va sans doute être modifié, amendé. Dans quelle direction ? Va-t-il renforcer l’arbitraire juridique, où au contraire on se dirigera vers un texte faisant revenir, à minima, la décision du CEC au Procureur de la République, voire à maxima, aux officiers d’Etat-Civil (ce qui serait dans la logique des choses). Je ne perds pas espoirs, mais y a encore du boulot…

La Post-Conclusion

Le texte n’est pas encore adopté de façon définitive, il lui reste encore un passage à l’Assemblée Nationale pour examen des amendements et un nouveau passage au Sénat. Mais l’Assemblée Nationale aura le dernier mot, pour sûr !

La situation est disons compliquée («Oui moi j’aurai dit merdique. Enfin, vous vous ferez votre propre idée !» Léodagan de Carmélide, Kaamelott, Livre V). Et il est à craindre que cette situation va être celle dans laquelle les personnes trans vont se retrouver durant au moins les 10 années à suivre. Une situation dans laquelle il faudra fournir des attestations de notre entourage. Une situation dans laquelle il faudra prouver que nous correspondons aux stéréotypes genrés en vigueur, ignorant de fait des décennies de lutte féministe notamment. Une situation dans laquelle il faudra montrer qu’on suit un traitement médical. Enfin, une situation dans laquelle il faudra se saisir d’un-e avocat-e et attendre une décision de justice, avec tout le hasard que cela puisse comporter. C’est inacceptable et cela balaie d’un revers de la main l’ensemble de nos revendications, à savoir un changement d’État-Civil LIBRE et GRATUIT, que l’on puisse faire devant un officier d’État-Civil, sur simple demande.

op

5 réponses sur « [Mise à jour du 28/09/16] Sur le changement d'Etat-Civil, que dit le nouveau texte ? »

Oui, bon, comme aujourd’hui, quoi. La bonne (ou mauvaise) volonté du tribunal et les attestations les plus diverses. L’arbitraire formalisé (il y avait déjà des juridictions qui délivraient le cec sans opé). On n’a strictement rien gagné (même le changement de pronom en mairie, dans ce cadre, relève plus d’une démarche supplémentaire imposée que d’une ouverture).

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