En lisant mon ancienne page « biographie« , je me suis rendue compte que celle-ci n’était plus tellement actuelle. Disons qu’après relecture, ce n’est plus tout à fait comme ça que je présenterai les choses, ni avec tout à fait les mêmes mots.
Je vais tout d’abord mettre de jolis symboles spéciaux pour faire joli. Et séparer ce texte du suivant.
Ah et si jamais vous voulez la version courte, y un trop long ; pas lu ici.
[Écrit le 20 Février 2016]
Donc je suis née le 11 Mai 1985, à Bergerac. Cela n’est pas tellement utile de le savoir, à part si on veut connaître ma date d’anniversaire. Si, une chose à savoir tout de même : quand le personnel médical a vu mon appareil génital, il s’est cru malin en déterminant que j’étais un garçon. Et on m’a collé un prénom masculin, par la même occasion. Ma vie commence donc ainsi : assignée garçon dès la naissance. Mais cela n’était pas quelque chose de fondamentalement gênant j’ai envie de dire. Ça commencera par se gâter un peu plus tard.
Si je devais remonter jusqu’à mon enfance, deux souvenirs ont été pour moi on va dire les marqueurs d’un « quelque chose qui ne va pas ». Comme un genre de malaise.
Le premier c’était en classe de CE1, à l’école primaire de Creysse. Ma mère à l’époque m’avait donné plusieurs paires de chaussettes toute fines, dont le textile était celui des collants (ou des bas) que j’adorais porter car très confortable, et aérées à la fois. Le problème c’est que ça s’est rapidement vu. Immédiatement, séance de harcèlement en cours de récréation : «Hahaha ! C’est une fille !! Il porte des chaussettes de fille !!». Alors étrangement, je ne savais que répondre. Entre la paralysie provoquée par cette vindicte populaire spontanée et une forme de je-m’en-foutisme de ma part car je ne voyais pas trop le problème de porter de tels vêtements. Je me souviens quand même avoir crié, entre deux larmes, en direction de mes assaillant-e-s : «C’est pas vrai !!». Mais, leçon retenue. À l’avenir, j’éviterai de faire des vagues, afin notamment que stoppe ce type de harcèlement. Ce que je ferai assez brillamment pour toute la durée de ma scolarité. Être invisible ou s’en prendre plein la tronche en somme…
Le second souvenir est un peu moins ancien, toujours de la primaire, en classe de CE2 cette fois-ci. Je dois dire que celle-là je ne m’y attendais pas mais ça m’est tombée dessus sans autre forme de procès. Une fille, dans mes souvenirs, discutait avec ses camarades de classe durant la pause de 10h, et, au gré d’un débat insipide, dit : «J’en suis sûre et certaine». Personne ne soulignait rien. Sauf que… Dans ma tête ça a fait comme un *gong*. Je me répète inlassablement les mots. SûrE et certainE (oui, accentuation sur le E muet de sûre, car on est dans le Sud-Ouest). Comme une exacerbation grammaticale du genre féminin. Et une autre idée émerge en moi : vouloir m’exprimer au féminin. Car j’ai l’impression que c’est ce que je suis au fond. Suis-je une fille ? Ai-je envie de devenir une fille ? Et tu veux pas rester un garçon ? Mais il y a comme une certitude au fond de moi : le refus du genre masculin, du moins dans mon expression orale.
Cette phrase, «sûre et certaine» me poursuivra tout le restant de ma vie. Dès fois il m’arrivera de l’entendre de nouveau, et d’être catapultée en classe de CE2, à Creysse. Je garderai longtemps au fond de moi tout ça. J’étais devenue très bonne dans la dissimulation. Et on pourrait se dire, que c’était trop lourd à garder. Trop lourd à gérer. Mes fusibles, c’étaient mes divers centre d’intérêt, mes passions. Le dessin. L’astronomie. La météorologie. Des modes d’échappatoires à un quotidien trop terne. Comme une prison. Mes années collège et lycée seront assez peu marquées par cette volonté de devenir ce que je suis. La première raison ? Le manque total de repères. Comment je pouvais me construire une identité transgenre si je n’avais aucune clé de compréhension, ne serait-ce que du mot « trans » ? Comment pouvais-je m’identifier à quoi que ce soit ? Tout autour de moi ce n’était que cisnormativité. Cissexisme. Stéréotypes genrés. Des personnes trans autour de moi j’en n’avais pas. Même dans les médias. Je ne pouvais pas former mes repères. J’étais dans l’obscurité la plus totale. Aucune échappatoire. Donc j’ai fait l’inverse de ce que j’aurai peut-être du faire : tout intérioriser. Tout enfermer. Verrouiller. Ne rien me dire. Ne pas chercher. Le déclic se fait attendre. Tout du moins je fantasme d’un miracle d’intervention divine ou magique qui changerait mon apparence, mon corps, au réveil. Rien ne viendra.
Vers la fin de mes années lycée, toutefois, je tente d’explorer un peu tout ça. C’est ainsi que je me retrouve à explorer… les armoires de ma mère dans sa chambre. Chercher des vêtements. Des sous-vêtements. Toujours avec une absolue discrétion. Sans jamais éveiller le moindre soupçon. Je fais des essais. Les porte. Me regarde dans le miroir. Cela provoque une certaine excitation, je ne vais pas m’en cacher. Mais cela va plus loin. Je me sens bien. Comme des moments suspendus. Libération. Joie. Je porterai le défi jusqu’à aller porter une culotte dite « féminine », toute la journée, au lycée. Sensations grisantes. Je fais ça plusieurs fois. Mais rapidement aussi, une forme de honte m’envahit. Voire de dégoût. Je trouve ça malsain. J’oscillerai sans cesse entre extase de mon être et rejet profond. Il fallut l’obtention du bac et mon déménagement à Marseille pour mes études mettre un terme à ces séances « interdites ».
Marseille. 2005. Découverte totale. Après trois mois hébergée chez mon grand-père à Martigues dans une petite maison de campagne, j’emménage dans mon 9m² à Luminy. Je découvre l’autonomie, devoir faire ses courses, se faire à manger. Bref, devoir se démerder toute seule. Pendant ces années là, je passes mes études à l’école supérieure des Beaux-Arts de Marseille en questionnement minimal. J’avais enfermé dans un coffre-fort cette nana qui ne demande qu’à s’exprimer. Je me consacre entièrement à mes études. A mes travaux extra-scolaires, comme mes premiers pas en photo, le traitement des images provenant des rovers à la surface de Mars, l’astronomie que je pratique régulièrement avec mon télescope. Ne pas voir les choses en face. Ne pas se poser de questions. Ne pas s’écouter. Le diplôme de 3ème année marque mon obtention d’un logement un peu plus grand, un studio de 21m². C’est à la fin de ma 4ème année que les choses reprennent un peu le dessus. Je découvre en bas de la cage d’escalier, en fin de journée un sac cabas rempli de fripes, laissé à disposition pour tout le monde. Je les regarde, et ils m’ont l’air d’être des vêtements féminins. J’attendrai patiemment la fin de soirée pour embarquer le sac dans mon studio. Et enfiler quelques uns de ces vêtements. Certains sont un peu trop étroits. D’autres me vont plutôt bien. Je retiens une longue robe (déchirée dans la prolongation du dos, je la repriserai plus tard), quelques pantalons, un bustier, des chaussettes et je crois que c’était tout. Mais voilà, ma toute première garde-robe. Certains WE il m’arrivera de ne porter que ces vêtements. Et je ferais quelques « défis ». Me promener à Luminy avec uns de ces pantalons (des jeans assez serrés). Je mettrais le bustier sous mes vêtements. Parfois, pour mes courses du WE, je n’enlèverai pas ma robe mais je la dissimulerai sous mes vêtements « habituels ».
Mais je me retrouverai une nouvelle fois devant une impasse. J’ai envie de vivre cette vie au féminin. C’est ce que je veux. C’est ce dont j’ai besoin. Cette vie au masculin ne me corresponds pas. Mais une nouvelle fois, le manque de repères m’empêche de me raccrocher à quoi que ce soit. J’avais Internet de façon quotidienne, à dispo depuis mon ordinateur (le même ordinateur que j’utilise en ce moment même d’ailleurs). Je pouvais conduire des recherches. Mais je ne le ferai pas. Je ne le ferai pas car mon esprit s’était résolument fermé à tout ça. A cette époque pour moi « trans », ça rimait avec « monde de la nuit », « travestissement », « drag-queen ». Ça rimait à des défilés sur des chars comme à Rio. J’étais complètement immergée dans des clichés, des images qui ne me correspondait pas. Donc je ne ferai rien pour améliorer ma situation…
Mes études prennent fin alors que je suis hébergée par un ami de l’époque en centre-ville de Marseille. Nous sommes en 2011. En plein milieu d’une grosse crise d’identité. Je me cherche. Je ne sais pas tellement où je vais. Errances. Oh ! Je fais bien encore de l’astronomie. Je suis très investie dans une asso de météo, je traite des images de Mars comme jamais. C’était en 2011 que j’avais décidé de TOUT enfermer. De façon symbolique. Et de façon concrète. Mettre tout ces vêtements trouvés à Luminy dans une valise, et ne plus jamais la rouvrir. Et je sombrais, je le sais. Je devenais violente. Vis à vis de moi-même. Mais vis à vis de la société. J’en devenais franchement réactionnaire. Oui ! Je suis allée mettre les pieds dans des idéologies absolument nauséabondes. Ce passé me pèse encore actuellement. J’en fais encore la pénitence.
Cette période va durer environ 2 ans, de 2010 à 2012. Mais c’est fin 2011 que le Réveil se met en place. Le déclic.
Un Samedi soir, sans doute vers Septembre 2011. Le poste de télévision est sur Canal+, et l’émission Salut Les Terriens, animée par Thierry Ardisson est diffusée. Vient la chronique de « L’invité de 20h ». Il s’agit d’Olivia Chaumont, une femme trans. Elle a tout d’une femme à mes yeux. Rien ne me permet de discerner quoique ce soit. Elle vient pour parler d’un livre qu’elle vient juste de sortir, sur sa vie, sur sa transition. Et durant toute la durée de l’interview, mes yeux seront rivés sur l’écran. Et il se passe quelque chose en moi de vraiment indescriptible. Comme si tout mon être était retourné. Je me suis prise une gifle. Littéralement. J’ai le cerveau totalement chamboulé, en bouillie. Je me souviens de la réaction de mon hébergeur ce soir là :
«Tu pourrais, toi, te changer en femme comme ça ?
– Je sais pas, lui dis-je. Je pense que oui, ça doit être assez intéressant à vivre.
– Je pourrai pas. Et puis t’imagines, ça doit pas être facile du tout. Ces gens là doivent se sentir mal dans leur corps…»
Ces mots me refroidiront quelques peu. Mais. Le choc est fait. Je sais quel mot mettre dessus, et il a été très clairement prononcé dans l’émission : « transgenre« . Et ça a parlé d’hormones aussi. Du fait que oui, les œstrogènes peuvent modifier l’apparence. Faire pousse les seins. Augmenter les hanches. Affiner le grain de peau. Très vite je saisirai mon ordinateur pour faire des recherches. Et je tombe sur des pages expliquant les types de traitements hormonaux substitutifs. Leurs effets. Leurs risques. Et je découvre un peu le parcours aussi.
Il m’arrivera régulièrement, en cette fin d’année 2011, de faire des recherches, et de tomber sur mon 1er blog écrit par une personne transgenre. Une certaine Alexandra, sur Yagg. Je lirai son récit comme jamais j’ai pu lire un récit. Son histoire… Tellement de choses en commun. J’en apprends plus sur le parcours à suivre. Les démarches. L’impasse devant laquelle j’étais s’ouvre. Devant moi, un rectangle se trace dans les ténèbres. Une porte. Donnant sur une passerelle. Ma Passerelle. Mon parcours. Il ne tient qu’à moi de l’emprunter. Sensation assez grisante de se dire qu’on ENFIN une issue. Que c’est POSSIBLE. Et que ça MARCHE. Je suis pressée, mais à la fois je veux être prudente.
Je finis par parler de tout ça à un ami, Fred, via messagerie instantanée, en soirée. Je crois que c’est un peu ça qu’on appelle faire son coming-out. Il m’écoutera respectueusement. C’est surtout plein d’interrogations, de doutes dont je lui fais part. Mas réflexion n’était pas totalement aboutie à l’époque, en ce mois d’Octobre 2011.
Il est trop tard pour reculer désormais. Cette question m’obsède. Me hante. Est-ce que c’est ce que veux réellement ? Est-ce que c’est ce que je suis réellement ? J’en parle à un autre ami, au gré d’une randonnée. Il respecte tout ceci. Ne peut pas trop donner de conseils car n’étant pas tellement au fait de tout ça. J’en parle aussi à la personne qui m’héberge. Douche froide. Il ne trouve pas ça normal. Et a peur que je me mette dans une situation d’infinie misère. Un peu découragée par ce 3ème C.O.
J’en parle aussi à ma mère, alors que 2011 touche à sa fin. Elle sera d’une bienveillance extrême. Elle ne cherchera pas à m’invalider. Sa seule crainte ? Comment va réagir mon père…
Lors d’une rencontre nationale d’Infoclimat (une édition d’Hiver, en 2012, qui s’est tenue dans le Cantal), je tenterai une chose que je n’avais faite auparavant. Prendre une robe, de couleur blanche, que j’avais depuis quelques mois déjà, et la porter durant une soirée. C’était assez grisant, et j’ai adoré. Car pour une fois, j’osais affronter mes peurs et me montrer telle que je veux être. Oui ça a un peu fait grincer des dents, mais c’était un chouette moment (à part un petit drame provoqué par l’odeur de la shisha qui s’est répandue dans une partie du gite, incommodant des gens…). Doucement, en ce début d’année 2012, je me laisserai aller. Je remettrai ces pantalons serrés que je n’osais qu’à peine sortir les années passées. J’essaierai d’accommoder ma démarche. De travailler ma voix. J’essaie d’imaginer ma poitrine exercer un poids à chacun de mes pas. Mes cheveux étaient encore courts à l’époque (j’ai fait la bêtise de les raser à la fin du mois d’Août 2011…). Cela n’aide pas à avoir cette allure androgyne que je cherchais. Mais je vois que les regards changent sur moi quand je vais à mon travail de l’époque, à la galerie Rue Montgrand, à Marseille. Et, je commence par aller voir un psychiatre, afin d’entamer plus concrètement ce parcours. Hasarder un pied sur la Passerelle. Ce psy m’a été donné par la personne qui m’hébergeait, ne voulant pas s’opposer à ce que je voulais faire, malgré ses inquiétudes. Cette 1ère séance chez un psy n’a pas tellement été une révélation mais a été certainement l’occasion pour moi de confirmer que oui, je suis bel et bien une femme trans. Et que désormais je mettrais tout en œuvre pour parvenir à mes fins.
Entretemps j’ai découvert d’autres blogs sur Yagg. Dont celui de Julie, quelqu’un de mon âge, par rapport à qui je peux plus aisément m’identifier. Il ne me fallut pas longtemps pour décider de m’inscrire sur le site et ouvrir mon propre blog, début Mai 2012. Et y raconter mon histoire. Ma transition a commencé.
La suite ? J’ai crée une page Sommaire qui permet d’aller aux articles, classés par ordre chronologique, ce qui sera plus aisé pour la lecture (la navigation sur blog n’étant pas des plus aisées).