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La Greffe Ultime
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Chapitre 3
On nous fait visiter la station. C’est assez labyrinthique, on s’y perdrais presque. J’ai d’ailleurs constaté quelque chose depuis que je suis une femme, c’est que mon sens de l’orientation n’est plus le même. Il s’est assez détérioré. Je suppose que cela doit provenir d’une influence du corps biologique sur le cerveau. Je dois faire travailler ma mémoire beaucoup plus qu’avant pour parvenir à me repérer, sans parvenir à l’aisance que j’avais avant. On nous présente les différentes installations à bord, les salles d’expérimentations, de simulations, d’entrepôts, les locaux techniques, etc. Une véritable petite ville. On nous présente aussi nos chambres respectives, individuelles. Andreï ira dans la zone Russe de la station, Tchang dans la zone Chinoise, tandis que moi ce sera celle qui est Européenne. Je suis juste à côté d’Olivier. Je demande où est situé mon module de simulation. Il est arrimé dans le coin inférieur droit de l’étage Europe. Je mémorise le trajet à effectuer entre ma chambre et mon module. Andreï montre un vraie impatience pour visiter le Globe. On nous y amène tous. Après avoir longé un genre de long tube, nous arrivons devant. Ouverture de la porte, qui dévoile un spectacle fascinant : la Terre vue d’au dessus. Le Globe est vraiment plus grand que je ne l’avais imaginé. Il fait dix mètres de diamètre. Le “verre” (en fait un alliage entre du Pyrex et des matériaux composites) est invisible, ne causant quasiment aucune réflexions. Andreï est littéralement sous le choc. Juste en bordure de la porte, sont situées plusieurs trappes, qui permettent de faire sortir des sièges et des bras pour poser un appareil photo. Le russe fut le premier à y rentrer. Je suis la seconde à prendre place, suivie par Tchang. On nous propose de refermer derrière nous pour être isolés des lumières du couloir. Le silence se fait. Nous avons vraiment l’impression d’être dans le vide spatial. Andreï n’ose même pas se servir de son appareil photo. Il est profondément bouleversé par cette vision, cette expérience. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de retenir une larme. C’est si beau. La Terre est ici visible totalement, sans que quelque chose ne vienne devant pour la masquer. Nous restons là un moment, à contempler cette planète, les continents défilant sous nos yeux, la mince pellicule atmosphérique diffusant les derniers rayons de Soleil d’une énième orbite. Le chinois est le premier à en sortir. Je le suis dix minutes plus tard, après que Andreï m’aie commenté le survol de son pays. Il restera dans le Globe, finalement prêt à faire des clichés.
Je resterais ici durant trois mois. Je ferais simulations sur simulations, avec des scénarios, évidemment plus tordus les uns que les autres, envoyés par mes équipes du Chili. Je compte aussi apporter un petit coup de main à l’équipe de la station. Chacun a sa ou ses spécialités, mais en matière de vie à bord, tout le monde met la main à la pâte. Aujourd’hui est mon premier jour de simulation. L’intérieur du module est assez simple : un écran qui affichera en 3D temps réelle Mars (dans le cas d’un atterrissage) ou l’étage de croisière pour le retour (dans le cas du retour sur Terre). Le panneau de commande est un peu plus simple que celui que j’aurais mais regroupe l’essentiel de ce dont je vais avoir besoin. Aussi, le siège sera parcouru de mouvements pour un réalisme accru, et l’ensemble sera en rotation de façon a recréer une gravité artificielle. Je m’installe dans le fauteuil, et lance une première simulation. Au programme, détachement de l’étage de croisière pour se poser sur Mars. Avec une erreur de trajectoire qu’il faudra corriger comme handicap. Détachement de l’étage de croisière. Tout se passe bien. Je tente de corriger la trajectoire dès à présent car je file à près de 30 km/s, et que Mars arrive vite. J’en suis à moins de 10 000 kilomètres. Sur le moniteur, la trajectoire de référence. Je fais une première poussée frontale pour ralentir et incurver mon “orbite”. Je parviens à un résultat correct. Mais ce n’est toujours pas ça, je suis trop en dehors de mon ellipse d’atterrissage. Mes battements cardiaques s’accélèrent. Mes mains transpirent sur le joystick de contrôle. Je me rend compte que je me déporte de nouveau de ma trajectoire de référence. Une nouvelle correction s’impose. 4200 kilomètres avant entrée atmosphérique. Il ne faudra pas que je rentre avec un angle trop élevé car l’épaisseur d’atmosphère traversée sera trop faible, j’irais trop vite et je ne pourrais pas déployer les parachutes sans que ceux-ci ne soient réduits en lambeaux. Je reviens sur la trajectoire de référence, de même que je parviens à m’orienter dans l’ellipse d’atterrissage. Je suis à 100 km de la surface de Mars. La décélération commence, le bouclier thermique rencontrant la haute atmosphère de la planète rouge. Comme prévu, je ressens un choc assez fort. L’engin ralenti très vite. A 20 km, le parachute est largué et le bouclier thermique éjecté. Gros ralentissement. Je descend tout doucement. A 1000 mètres, je suis coupé du parachute et dans le même temps j’active les rétrofusées de descente. Mais une alarme se fait entendre. Le moteur 2B ne s’est pas lancé. Ma trajectoire de descente est faussée. Je tente de la corriger en diminuant la puissance dans le moteur 1A et augmentant celle des moteurs 2A et 1B, pour compenser le manque de poussée. Mais cela ne suffit pas. 100 mètres, 60 mètres, 25 mètres, bientôt 10 mètres. Ecran rouge. Je me suis écrasée au sol. Fin de la simulation. Je suis haletante, le coeur battant à tout rompre. Je vois que l’on commence fort dans les exercices. Première journée, premier échec. Il va me falloir bosser dur. J’échoue à la seconde simulation, car je m’était cette fois trop écartée de la trajectoire de référence. La troisième est un cuisant échec suite à la mauvaise gestion du largage au niveau du sol. Je cumulerais une dizaine d’échec durant la journée. Je termine celle-ci vraiment éreintée, à bout de nerfs. Je ne pensais pas avoir autant de mal. C’est vrai que cela fait un peu plus de dix ans que je n’ai pas remis les mains sur la commande du Batirover. Mais il n’y a pas que ça je le sais. En étant devenue une femme, j’ai du modifier la chimie de mon cerveau de façon rétro-active. Je le sens tous les jours, mon attitude, mon caractère, mon comportement ne sont plus les mêmes que ceux que j’avais étant homme. Même si j’ai plus de patience, je vis plus intensément les frustrations et cela m’affecte un peu plus. En fait j’ai constaté que je vis plus fort les émotions, mais que j’y suis aussi plus soumise. C’est quelque chose qu’il va falloir prendre en compte lors des simulations, et aussi lors du vrai voyage sur Mars.
Cette première journée m’a fatiguée. Je vais aller me reposer dans le Globe, en espérant que Andreï n’y soit pas. Je parcours le long tube qui y mène, et y arrive. J’ouvre la porte : personne. J’esquisse un grand sourire, ne peut m’empêcher de retenir un petit rire. Me voici seule dans ce bijou. La Terre est face à moi. J’ignore quelle région nous survolons. C’est de l’océan à perte de vue, avec des moutonnements de cumulus, des cirrus, et quelques orages. Je déplie un siège pour m’y installer. Que je suis bien ici, en confidence presque directe avec la planète. Je vois que nous survolons en fait le Pacifique, et que nous allons passer au dessus de l’Amérique du Sud. Je reconnais de suite le littoral, la cordillère des Andes et le Désert de l’Atacama. Mon complexe spatial est juste à ses portes. Je m’évertue à essayer de le trouver du regard. C’est trop petit pour être visible. Je crois distinguer un petit tâche grise, mais ça ne doit pas être ça. Puis le marron de la forêt Amazonienne se présente. Enfin du moins, ce qu’il en reste… Une vraie tristesse. Heureusement que le Brésil a pu rapidement se développer pour ne plus avoir besoin de piller les derniers milliers kilomètres carrés de forêt tropicale. Depuis une petite quinzaine d’années, celle-ci repousse, se développe de nouveau. Souhaitons qu’elle puisse retrouver sa surface d’antan. Le bleu de l’Océan Atlantique se présente juste avant le coucher du Soleil. Une véritable flamboyance à chaque fois. Et le spectacle de la nuit. La lumière des villes très évidente, les orages crépitent, tels des flashs d’appareil photo dans une foule bien dense, l’illumination atmosphérique d’un vert vif. Le ballet des astres se levant à l’Est et se couchant à l’Ouest est merveilleux et rajoute à la beauté du spectacle. Nous passons au dessus de la Russie. Des aurores boréales se manifestent, voiles multicolores, diaphanes, drapant le sommet de l’atmosphère dans leur lueur électrique. Spectacle merveilleux. Une lueur bleutée s’immisce dans la fine virgule atmosphérique. L’aube arrive. Quelques nuages noctulescents passent au dessus. Première fois que j’en vois depuis l’orbite. Le Soleil réapparaît, resplendissant. La fatigue m’enveloppe. Je m’endors doucement.
Un bruit sourd. Je me réveille alors que la Terre est de nouveau plongée dans l’obscurité. C’est Andreï qui vient de rentrer dans l’habitacle, avec son impressionnant matériel photographique.
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